LES GRANDS ÂGES DU THÉ PU ER
L’hiver est déjà bien installé, et malgré le côté féérique des paysages enneigés, le raccourcissement des jours, un ensoleillement moins important et le froid peuvent affecter notre organisme et notre humeur.
Voici des suggestions de notre équipe pour chasser la grisaille et ajouter un peu de réconfort durant les journées froides de l’hiver.
“Pour moi, c’est le Bai Hao de M. Xu… Réconfortant, boisé et fruité… Un vrai délice!” – François Marchand
“Pour le contrer les blues, j’écoute du reggae ou de la musique tard en soirée, avec un bon Wulong des monts Wuyi !” – Sébastien Collin
“Le PuEr Lao Ban Zhang 2007 : réconfort et apaisement immédiats. Un thé chaleureux, qui sent les essences de bois noble, le camphre, le sapinage d’hiver et le sous-bois en général. Extrêmement généreux, à déguster lentement devant la tempête.” – Laurence Lambin-Gagnon
“En rentrant du ski, je me réconforte avec un Pu Er Sheng, par exemple le Pu ER 1992 Menghai Hou Gen” – Jasmin Desharnais
“Un Bai Rui Xiang dans un thermos pendant une soirée en ski de fond avec des amis, à la lueur du clair de lune!” – Kevin Gascoyne
“Je conseille souvent les thés wulongtaiwanais de haute montagne en disant qu’il s’agit de “thés d’hiver”. La liqueur jaune de ces thés au goût végétal est très texturée. Et, à ne pas négliger, c’est un thé qui se fait à l’eau bouillante (contrairement à 75-85 degré pour les thés verts)!” – Sabrina Catellier
«Après avoir patiné en amoureux sous les flocons, rien de mieux que de boire le mélange «Clark» de chez Bristol Chaï au son feutré de Suzie Arioli et Jordan Officer? Ne manque que le feu de foyer !” – Jean-François Di Pietro
Le thé est un produit « vivant », il vieillit. Pour la grande majorité des thés, c’est une réalité plutôt défavorable aux arômes et saveurs qui les composent : les qualités de fraicheur, qui font l’éclat de certaines récoltes, s’estompent rapidement.
Les thés verts sont les plus populaires en Orient. En Chine seulement, on en compte plus de 1500 variétés! En effet, la diversité des thés verts chinois est phénoménale. Des siècles de culture ont permis d’en diversifier la palette aromatique. De l’amertume des petites feuilles torsadées au doux parfum des feuilles d’exception, le thé vert s’y décline en plus de mille variétés.
Pour nous qui explorons chaque année de nouvelles régions productrices de thé vert, la Chine est une source inépuisable de découvertes. Chaque région possède sa spécialité et chaque artisan, sa méthode. Les grands crus sont nombreux et légendaires.
Xin Yang Mao Jian, Long Jing Shi Feng, Tai Ping Hou Kui – voilà des thés issus d’une riche et longue histoire. Les Chinois en sont fiers et la demande pour des thés verts d’exception est de plus en plus forte. De nombreux thés verts issus de nouveaux cultivars, tel l’Anji Bai Cha, font leur apparition. La production augmente chaque année et l’intérêt pour ces nouveaux crus ne se dément pas. Le thé vert, en Chine, est extraordinairement vivant.
Voici quelques-uns des favoris de l’équipe :
Lu An Gua Pian : ses belles feuilles torsadées aux accents bleutés sont récoltées à la main une à une dans la région de Anhui. Vivifiant et fin, ce thé à la dominance végétale est digne de son titre de grand cru de Chine.
Xin Yang Mao Jian : ce thé renommé est issu d’une cueillette fine constituée de délicats bourgeons. Un thé tonifiant et généreux, au parfum rappelant le litchi, qui laisse une longue persistance en bouche.
Du Yun Mao Jian : un excellent thé de tous les jours, aux francs parfums végétaux (épinards fris) et iodés. La liqueur jaune clair légèrement voilée est vive et sucrée, complétée par d’agréables accents fruités (melon) et légumiers.
Huo Shan Huang Cha : envie d’essayer un thé plus marginal? Ce thé jaune déploie son éclatant caractère végétal (oseille) en accord avec ses notes de noix grasse et de biscuits au beurre. De généreux tanins accompagnent sa profonde finale, nuancée par de fins accents floraux.
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Des empereurs et du thé
Outre les thés faits sur mesure pour l’exportation vers les pays frontaliers, à l’inverse des zhuan cha produits dans le but de plaire aux Tibétains (feuilles bas de gamme avec beaucoup de brindilles), d’autres thés, d’une qualité supérieure, circulent sur les routes du thé. C’est alors une coutume d’offrir certaines marchandises à l’empereur. Dans le Xishuangbanna, par exemple, avant même qu’un système de taxation soit instauré par l’empire, de la vaisselle en or, des objets en ivoire, des chevaux et même des éléphants sont envoyés aux portes de la cité interdite en guise de dévotion ou de reconnaissance. Parmi ces produits, le thé fait son chemin jusqu’aux portes du palais impérial.
L’histoire a retenu plusieurs empereurs amateurs de thé, dont Hui Zong, qui lors de son règne au début du XIIième siècle, déclare que cette boisson lui permet d’oublier, pour un temps, le tracas des affaires quotidiennes. De cet empereur, qui termina ces jours exilé, vaincu par les envahisseurs nomades du nord, on garde, en plus de ces nombreuses peintures de fleurs et d’oiseaux, des écrits sur sa passion du thé, digne reflet du goût raffiné de la culture sous la dynastie Song (960-1279).
Pendant la dynastie mongole des Yuan (1279-1368), le commerce du thé contre des chevaux, instauré précédemment, est superflu. Les Mongols, déjà pourvus d’une cavalerie abondante, s’imposent sur un vaste territoire. Le thé, jusqu’alors mené à un haut niveau de raffinement, servi lors des banquets ou dégusté lors des concours, devient essentiellement un breuvage populaire préparé en abondance avec du lait et qui accompagne chaque repas.
Hongwu, premier empereur de la dynastie Ming (1368-1644), poursuit ce retour à la simplicité des Yuan, en facilitant, entre autres, la production de thé par un décret interdisant la pratique de la compression alors en usage pour tous les thés, incluant ceux destinés à l’empereur. Bien qu’à cette époque la production de thé en feuilles existe déjà, cet édit impérial, qui visait à éviter une perte considérable de temps et d’efforts, permis l’essor d’un nouvel âge du thé, celui du thé infusé. L’utilisation d’un nouvel objet, la théière, s’impose alors comme outil indispensable. Les formes compressées demeurent toutefois, dans leurs versions rudimentaires, mais sans ornements, afin de permettre leur acheminement vers les peuples frontaliers.
Reconnu pour son amour du thé, Qian Long (1711-1799), quatrième empereur de la dynastie Qing, auteur de nombreux poèmes, à l’origine du choix de plusieurs grands noms de thé, illustre l’esprit d’une nouvelle époque, qui se manifeste par un nouvel enthousiasme pour cette panacée et sa réintroduction à la cour.
Les enregistrements de la cité interdite attestent que le Pu Er devient Gong Cha, ou thé en offrande, en 1732. Ce tribut à l’empereur, en ce qui concerne le thé Pu Er, commence alors et dure près de 200 ans. Pendant cette période, les meilleurs thés produits sont envoyés au palais impérial, où, pour recevoir et conserver ces crus, un immense espace de stockage était prévu. Cet honneur royal valorise et encourage les thés provenant du Yunnan, à l’extrême sud-ouest de la Chine, servant jusqu’alors principalement pour la consommation locale ainsi que pour l’exportation.
Dans le but de plaire à l’empereur et de maintenir cette réputation grandissante, certaines fabriques familiales installées dans plusieurs villages, dont celui de Yiwu gagnent en célébrité en produisant des galettes de thé, appelées Qi Zi Bing Cha, façonnées à partir de feuilles provenant de terroirs prisés et réputés pour leurs qualités. Le thé Pu Er, issu de la région de Simao et d’une dizaine de montagnes du sud, connait ainsi un apogée sans précédent.
Les innovations amorcées sous les Ming (1368-1644) se concrétisent et, un peu plus de deux siècles plus tard, au tournant du XIXième, six familles de thé sont produites et classées par couleur : blanc, jaune, vert, bleu-vert, rouge et noir. Aussi nommée sombre, cette dernière famille regroupe alors les thés aux liqueurs ambrées, plus foncées, comme les Pu Er du Yunnan, ainsi que ceux provenant de provinces ou pays connexes, où sont compressées les feuilles pour la consommation locale ou l’exportation.
À ces galettes du Yunnan, à ces briques du Hubei, s’ajoutent aussi les thés du Sichuan tressés dans du bambou, les Fuzhuan du Hunan, les Liu Bao du Guangxi, les Liu An d’Anhui. Ce sont ces thés que nous connaissons aujourd’hui comme appartenant à l’éternelle famille des thés vieillis.
Si les propriétés stimulantes, diurétiques et antibactériennes du thé sont reconnues depuis longtemps par la médecine chinoise, c’est plus récemment que ses bienfaits ont été confirmés par la science moderne. Il ne fait plus aucun doute que ses vertus contribuent à notre longévité en stimulant les fonctions du cœur, en renforçant le système immunitaire et en prévenant les mutations cellulaires.
Le thé, sous toutes ses formes, devient donc une alternative saine, délicieuse, et originale, même pour vos fins de soirées. Voici quelques suggestions de la Maison de thé Camellia Sinensis :
Les tisanes offrent un monde de fragrances où différentes plantes comme la verveine, l’agastache, le framboisier, l’ortie, le thé des bois, le houblon, la lavande, l’achillée millefeuille, la mélisse émerveilleront vos fins de soirée.
Le miel de trèfle, les fleurs comestibles, les noix fraîches, les herbes fraîchement coupées, sont des arômes évoqués dans les nuances sucrées et veloutées des thés blancs. À relativement faible teneur en caféine et en tannins, leur infusion rafraîchissante est parfaite à tout moment de la journée. Un thé à savourer en toute tranquillité, sans l’accompagnement de nourriture, afin de profiter de ses subtilités les plus fines et de son effet apaisant.
Le rooibos (Aspalathus linearis), de la famille des légumineuses, tire son nom de l’afrikaans et signifie buisson rougeâtre, couleur que prend l’arbuste vers la fin de sa vie. Il en résulte une liqueur rouge sans caféine ; ses infusions sont délicieuses avec ou sans lait.
Thés glacés
Une option savoureuse à tout moment de l’année pour satisfaire votre soif et celle de vos invités! Que vous utilisiez un mélange déjà préparé ou bien que vous en profitiez pour vider vos fonds de sachets de vieux thé en y ajoutant des fruits et des épices, la procédure reste simple. Il suffit d’ajouter de l’eau froide à votre préparation en dosant comme pour un thé infusé à chaud (en moyenne 1 c. à thé par tasse), de le laisser de 6h à 12h au réfrigérateur, puis de filtrer le tout avant de déguster!
Mocktails
Dans le cadre du Défi 28 jours, la Maison de thé Camellia Sinensis s’engage à verser 1$ pour chaque 50g de Shui Xian Lao Cong vendu durant le mois de février. Une parfaite occasion pour essayer le mocktail ci-dessous :
Wuyi Sunrise
Bonne dégustation!
Dossier Pu Er
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Avant qu’elles ne voyagent sur les routes du thé et des chevaux pour devenir une importante monnaie d’échange, avant qu’elles ne s’intègrent aux coutumes du monde entier, avant qu’on les nomme Hei Cha, Pu Er, Liu An, Liu Bao, il y a plus de 3 mille ans, dans ces régions montagneuses, reculées et presque inaccessibles du sud de la Chine, des groupes ethniques cueillaient les feuilles d’arbres sauvages pour les mâcher, les mélanger à d’autres aliments ou simplement pour les utiliser comme aromate.
Le thé était alors un produit rudimentaire. Les théiers, des arbres sauvages à grandes feuilles.
Le théier originel
Les échos de la première consommation de feuilles de thé, attribués à Shen Nong, le divin empereur qui en aurait découvert les vertus, remontent à presque 5 mille ans, mais peu de preuves nous permettent de confirmer la véracité de ce symbolique mythe fondateur. Pour remonter aux sources originelles du thé, il faut se rendre dans la région fertile et luxuriante du sud de la Chine, plus précisément dans l’actuelle province du Yunnan, où de grands théiers millénaires ont été découverts. Ce sont eux qui peuvent aujourd’hui nous fournir quelques précisions sur l’origine probable de la consommation de ce parfait breuvage.
L’un des plus connus d’entre eux a été découvert au flanc de la montagne Nannuo. Âgé de 800 ans, il a été baptisé « roi des théiers » avant que d’autres ne lui ravissent son titre. Car le long du fleuve Lancang (Mékong), la nature réservait quelques surprises aux botanistes. À Bangwei, c’est un théier millénaire. À Bada, un théier sauvage d’approximativement 1700 ans. Dans la région de Pu Er, avec un diamètre de 120 centimètres, on trouve un surprenant théier sauvage de plus de 2700 ans! Mais la découverte la plus inattendue demeure celle d’un spécimen âgé d’environ 3200 ans dans la région de Fengqing. Ce spécimen étonne, car selon les spécialistes il aurait été planté et cultivé par l’homme. C’est une révélation, car bien que les jardins de la montagne Bulang abritent de nombreux théiers plusieurs fois centenaires, qui auraient aussi été plantés par l’homme, jamais jusqu’à cette découverte on ne pouvait envisager une culture du théier aussi ancienne. La présence d’un tel spécimen renvoie donc à une période beaucoup plus lointaine les débuts de la domestication du théier.
Les premiers cultivateurs du théier
Le Yunnan est le berceau de la diversité culturelle chinoise. Depuis des milliers d’années, les populations locales, d’origines, de mœurs et de coutumes diverses, ont su y trouver refuge et subvenir à leurs besoins en exploitant les ressources disponibles des alentours. Certaines ont introduit la cueillette du thé à leurs pratiques quotidiennes, créant et enrichissant leurs traditions culinaires. Pour les Bulang, par exemple, descendants des Pu, peuple ancestral reconnu par les historiens comme étant les premiers cultivateurs du théier, le commerce du thé qu’ils cultivent est leur seul lien avec le monde extérieur. Ils ont comme fortune commune des jardins centenaires, des théiers sauvages, des pratiques qui remontent à des temps immémoriaux.
Malgré les traces laissées par ces peuples ancestraux, nous savons peu de choses des pratiques culturelles reliées au thé en ces temps anciens : seulement quelques pratiques traditionnelles, certaines à l’origine du principe de post-fermentation, ont résisté au temps et demeurent utilisées aujourd’hui. Parmi cette multiplicité, les Bulang perpétuent de génération en génération une coutume encore présente aujourd’hui, la confection d’un thé nommé Suan Cha, dévoilant ainsi une facette du savoir-faire ancestral lié au thé. Ce thé, préparé pour certains rituels, est l’un des rares exemples qui nous permettent d’entrevoir les débuts singuliers de la transformation, du conditionnement et de la conservation du thé.
Premiers rayonnements
Consommé seul ou en préparation, essentiellement pour ses vertus médicinales, le thé est d’abord désigné par un terme générique, le classant parmi d’autres plantes amères aux multiples bienfaits. De génération en génération, ses utilisations variées comme remède élargissent progressivement sa popularité. Offert aux empereurs sous forme de tribut, bu lors des banquets, il est ensuite associé à des pratiques ritualisées, comme des mariages ou des cérémonies en mémoire des ancêtres.
Quittant son berceau d’origine, le thé commence alors à faire de plus en plus d’adeptes. Sa consommation s’étend progressivement, parvient entre autres jusqu’à l’actuelle province du Sichuan, à l’extrême sud-ouest du territoire chinois de l’époque, où il sera plus tard largement cultivé. Aux premiers siècles de notre ère, le thé est une boisson aussi populaire pour ses vertus que pour ses saveurs, mais avant d’assister à l’essor de sa consommation, et à la sophistication qu’on lui destinera, il faut d’abord attendre le premier âge d’or du thé, qui a lieu au cours des VII et VIIIième siècles. À cette époque, avec un enthousiasme grandissant, une majorité de la population chinoise choisit le thé comme breuvage quotidien. De premières traces écrites prouvent l’étendue de son rayonnement. Lettrés et poètes, dont le célèbre Lu Yu, laissent des écrits permettant de suivre son évolution et son raffinement, introduisant les principes de base de sa culture, de sa transformation et de sa préparation. De nombreux poèmes, ayant le thé comme sujet, expriment l’immense appréciation qu’on lui voue.
Parallèlement, au-delà des frontières de la Chine, à l’ouest, au sein du royaume de Nanzhao, soit une partie des actuelles provinces du Yunnan et du Sichuan, une route commerciale voit le jour et se développe, permettant au thé un plus long voyage, notamment jusqu’au Tibet. Partant de la ville de Pu Er, anciennement Simao, pour rejoindre, au nord, l’important corridor de communication reliant la Chine au Tibet, cette route passe par la capitale du royaume (Dali), où les thés produits plus au sud, dans l’actuel Xishuangbanna, y sont commercialisés.
Quelques siècles plus tard, pendant la florissante dynastie Song (960-1279), le thé est reconnu comme l’un des sept produits essentiels – avec le bois, le riz, l’huile, le sel, le vinaigre, les condiments – et s’affirme comme bien vital d’une grande valeur marchande. Les aristocrates en font leur boisson favorite, sa pratique se ritualise et de populaires concours de préparation sont organisés. Comme auparavant pour la soie, le sel, le sucre, les fourrures, les vaches et autres produits locaux, le thé devient un produit de négoce important pour le commerce et voyage sur un territoire de plus en plus élargi, nourrissant un vaste réseau routier qui se déploie sur plusieurs milliers de kilomètres.
Sur ces routes commerciales se rencontrent différentes minorités ethniques, comme les Dai, les Han, les Bai, les Naxi et les Tibétains, et par leurs échanges, s’enrichissent au contact des caravanes qui les approvisionnent.
Les routes du thé et des chevaux
Pour la Chine, les échanges avec les pays frontaliers sont très utiles. L’empire s’agrandissant, il lui faut protéger ses frontières et pour ce faire, le besoin en chevaux s’accroît, particulièrement en chevaux de guerre, tels les « chevaux célestes », qui se trouvent en territoires turques, mongols et tibétains. Pour acquérir ces précieuses montures, notamment chez les tribus de cavaliers nomades, on leur échange des caisses de thé, déjà très apprécié par les peuples nordiques. Les voies de communication commerciale servant à ces échanges prendront dès lors le nom des routes du thé et des chevaux.
Pour atteindre la Russie, la Birmanie, le Tibet, la Thaïlande, le Laos, le Vietnam et l’Inde, le voyage du thé est long. À partir des montagnes du sud-ouest de la Chine où il est produit, les routes sont difficiles et les sentiers étroits. Avant d’atteindre la barre rocheuse de l’Himalaya et le plateau tibétain, les hommes et les mules rassemblés en caravane doivent vaincre la chaleur et l’humidité des forêts tropicales, traverser une cinquantaine de rivières, emprunter les chemins creusés dans les falaises vertigineuses d’une centaine de montagnes, gravir les deux plus hauts plateaux de la Chine à travers la glissante saison des pluies et les blizzards cruels.
Un nouvel équilibre alimentaire pour les Tibétains
Les Tibétains découvrent le thé au cours du VIIième siècle, lorsque Le Royaume du Tibet, anciennement nommé Le Royaume Tubo, conquiert certaines parties du Yunnan et du Sichuan, dont les villes de Dali, de Lijiang et de Ya’an. Le mariage de Songten Gampo avec la princesse chinoise Wengchen en l’an 641 a permis d’introduire la préparation et l’appréciation du thé à la cour, où aristocrates et lamas consomment en exclusivité ce produit de luxe avant son essor au début du Xième siècle.
Le contexte climatique froid et aride des hauts plateaux tibétains, plus favorable à l’élevage de bétail qu’à l’agriculture, oriente naturellement la population vers un régime alimentaire fortement constitué de viande et de produits laitiers. Mais si celui-ci leur permet de rivaliser avec des conditions parfois extrêmes, de leur fournir l’énergie nécessaire aux rigoureux travaux quotidiens, il est aussi pauvre en vitamine que lourd en gras.
Lorsque les Tibétains découvrent les propriétés du thé, ils lui allouent un respect pratiquement divin. La consommation du thé, en association avec d’autres aliments traditionnels, est, selon la médecine traditionnelle, capable de créer un parfait équilibre corporel, même si, contrairement aux autres plantes indigènes, il est consommé quotidiennement. En équilibrant le corps, en comblant ses carences nutritionnelles, en favorisant la digestion, à l’instar d’autres populations nomades de Mongolie et des steppes désertiques du nord, le thé s’intègre naturellement à leur régime alimentaire.
Le goût du voyage
Au XIIIième siècle, lors du règne mongole de la dynastie Yuan, l’empire connaît une expansion sans précédent qui inclue dorénavant la province du Yunnan, territoire jusqu’alors occupé par le royaume de Dali. Les thés qui y sont produits, à partir d’arbres matures à grandes feuilles ou sauvages, quittent cette région et prennent le nom de la ville, Pu Er, où ils sont acheminés avant d’être marchandés et exportés.
Devenu denrée essentielle en Chine et au-delà de ses frontières, le thé, produit à l’origine dans l’ouest de la Chine, maintenant Sichuan, Hunan et Hubei, est alors compressé afin de le protéger et de faciliter son transport. Les premières techniques de compression, en brique (zhuan cha), en nid (tuocha), en champignon (jin cha) et en galette (bing cha) permettent notamment d’augmenter les quantités transportées. De chaque côté de la mule, les galettes s’empilent plus facilement et rendent la marche moins encombrante.
La compression a aussi l’avantage de rendre le thé plus résistant aux conditions extrêmes auxquelles il est exposé. La création des jin cha a d’ailleurs été faite dans cette optique. Afin de remplacer les tuo cha qui ont tendance à développer de la moisissure avant d’atteindre le Tibet, les jin cha sont manufacturés dans le but d’offrir une meilleure aération, évitant ainsi l’accumulation d’humidité et la présence de moisissures qui s’en suit. Car si le vieillissement du thé est inévitable, empêcher une fermentation excessive des feuilles est une nécessité.
Malgré le soin apporté à son empaquetage et à son emballage, comme le thé s’imprègne de l’humidité et de la chaleur ambiante, avant d’atteindre sa destination, son état se modifie. Sa couleur et son goût sont complétement différents de ce qu’ils étaient au début du voyage. Il conserve toutefois ses qualités et vertus, et son caractère, adouci par le voyage, ennoblie d’aspects boisés, parfois même sucrés et veloutés, laisse entrevoir les premières notes du thé vieilli.
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