Mariages heureux

3 septembre 2008
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J'ai récemment reçu quelques courriels de clients qui me demandaient quel genre de thés marier à leurs mets et desserts. L'art d'associer les saveurs, en connaissant toutes les subtilités des caractères et arômes des thés que nous proposons et ainsi bien conseiller les "fins gourmets", est pour moi un beau défi que je relève avec joie. Il n'y a pas que les commis de la SAQ à qui on demande conseil en prévision de notre prochaine réception!

 

 Je vous donne ici un exemple bien concret d'une dame de Laval qui m'a écrit:  

<< ...je prévois préparer à mes invités en entrée un feuilleté aux épinards et fromage de chèvre accompagné d'une salade de mâche relevée d'huile d'olive vierge et de vinaigre balsamique. Ensuite, comme plat principal, une bavette de boeuf au poivre et pommes de terre rissolées au cumin et aux oignons caramélisés. Pour finir, comme dessert, une tarte aux noisettes, litchi et chocolat noir avec une touche de crème anglaise. Je serais vraiment intéressée à ce que vous me conseilliez des thés qui s'accorderaient bien à chacun de ces services. Je vous fait confiance, j'adore découvrir des "nouveauthés"! >>

 

Souvent, en réponse à ce type de question, je demande à la personne de spécifier si un taux relativement élevé de caféine (comme on retrouve dans l'infusion de la plupart des thés verts et noirs) est à éviter si le repas est prévu en soirée ou selon la condition des invités. Cela viendra bien sûr influencer les thés que je recommanderai. Ensuite, il faut tenir compte de la condition dans laquelle les thés seront préparés: En effet, les thés destinés à accompagner les entrées et plats principaux seront souvent infusés un peu plus "à la hâte" compte tenu des événements liés à la préparation du repas comme tel.  Des thés plus faciles à infuser sont souvent plus appropriés dans ces cas. Aussi, les instruments d'infusion varieront selon chaque maisonnée... Sans rendre la chose compliquée, il s'agit de simplement savoir si tel ou tel thé sera servi à sa juste valeur. Un critère presque évident dans chaque cas est de suggérer des thés relativement "goûteux", aux tannins bien structurés, afin que la nourriture n'ait pas complètement le dessus sur l'infusion. Dans cet ordre d'idées, les thés blancs et verts doux seront ainsi souvent oubliés pour cause, à moins d'être destinés à accompagner des fruits frais ou un dessert très léger.

 

Les cuisiniers le savent bien, pour toute combinaison favorable des aliments entre eux ou aux condiments et épices, il faut simplement tenter d'associer convenablement les différentes saveurs (sucré, salé, acide, amer et umami) et arômes des ingrédients pour créer des mélanges harmonieux. Le parmesan et le basilic avec la tomate, le chocolat avec le café ou la menthe, ou encore le vin et le fromage... Mariages heureux reconnus par la plupart des gastronomes comme étant des formules gagnantes. Et avec le thé, c'est presque pareil.

 

 Par exemple, un thé vert accompagnera bien un risotto au parmesan et épinard, pendant qu'un fondant au chocolat se verra plutôt marié à un thé noir ou à un Pu Er relevé. (Images: gracieuseté de KSPoddar)

 

Ainsi, si on revient à notre exemple donné plus haut, en réponse à mes questions, Madame G m'a affirmé qu'un degré acceptable de caféine n'était pas un problème pour ses convives et que l'aide à la cuisine abondait (la chanceuse...!). Même un zhong et un thermos était à la disposition de la tablée en plus d'une grande théière en fonte d'environ 800 ml. Les thés que je lui proposai pour accompagner son choix d'entrée (feuilletés et salade) furent le Kukicha (vert/Japon) et le Lu An Gua Pian (vert/Chine). Ces deux thés sont très "chlorophyllés" avec leurs notes herbacées évoquant le légume vert. Leurs liqueurs sont denses et brumeuses donnant une sensation de bouillon nourrissant (à défaut de soupe à l'entrée!). J'imaginai que les notes végétales du thé et des entrées se fondraient les unes aux autres sans créer de dissonances aromatiques et que ces thés ajouteraient une dimension végétale "fluide" (pour envelopper les feuilletés présentés sans sauce, relevés par le fromage de chèvre normalement assez goûteux ainsi que la salade à la sauce non-crémeuse assez légère). Sans compter que, les thés verts, infusés à plus basse température, se marient mieux à la fraîcheur des verdures. Pour le plat de résistance (viande et pommes de terre), les thés proposés furent deux thés noirs: le Nilgiri Coonoor (Inde) et le Chuan Hong (Chine). Ronds, pleins et généreux, ces thés offrent une liqueur ne manquant pas de finesse pour autant. Le premier possède un caractère plus fruité et floral pouvant aller chercher un beau mariage avec l'oignon caramélisé et le cumin ainsi que l'aspect amidonné/sucré de la pomme de terre sans pourtant perdre pied sous la carrure goûteuse de la viande. Le second choix a un côté plus lourd, plus sombre, plus proche de la densité de la viande de boeuf. Son sucré de mélasse s'associerait bien d'après moi à la sauce de cuisson de la viande et le poivre aromatisant cette dernière, rendant l'expérience plus charpentée. Pour finir, en association au dessert (tarte au chocolat), je recommandai cette fois des membres de deux familles différentes: un Wulong noir, le Milan Xiang Feng Xi (Chine) et le Pu Er Shou 1998 (Chine).  Le Pu Er s'accordant généralement bien avec le chocolat, ce thé vieilli d'excellente qualité est un choix sûr. Ses notes légèrement fruitées et boisées se combineraient certainement bien au litchi et à la noisette de la tarte. Le Pu Er offrant un effet digestif par excellence, ce thé est d'autant plus intéressant à la fin d'un repas! Quant au Wulong noir que je choisi de recommander à Madame G, il offre une liqueur hautement aromatique et capiteuse aux notes fruitées de... litchi!  Ses tannins sont bien structurés et peuvent prendre leur place pour accompagner le chocolat et ses compères, litchis et noisettes, dans un élan aromatique leur ressemblant: boisé, fruité, miellé.

 

Je ne sais pas à quel point ces mariages furent heureux et si la soirée fut remplie de belles découvertes, mais j'avoue avoir éprouvé un appétit immense en tapant ma réponse par courrier électronique, des saveurs explosant dans ma tête m'apportant de la salive et une envie incontrôlable de cuisiner! Si vous avez des témoignages d'expériences de mariages heureux entre thé et nourriture que vous désirez nous faire part, n'hésitez pas à me laisser vos commentaires... au risque de nous faire baver!

 

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