Dossier Pu Er : de produit artisanal à produit industriel (Partie 4)

22 février 2018
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Dossier Pu Er

Avant même la sortie de notre livre sur le thé vert en 2012, nous avions débuté l’écriture d’un troisième livre sur les thés Pu Er. Comme le projet s’est transformé, nous sommes heureux de vous présenter le fruit de nos recherches sur le Pu Er sous la forme d'articles de blogue en plusieurs parties.

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LES GRANDS ÂGES DU THÉ PU ER


Le Pu Er est connu comme un produit de consommation courante depuis des temps très anciens. Jamais, jusqu’à tout récemment, il n’a été fabriqué dans le but d’être vendu à des prix faramineux pour des dégustateurs avertis.

Alors qu’il répondait aux modestes besoins du peuple chinois et de ceux vivant près de ses frontières, seulement une mince proportion de la production était jadis destinée à de riches propriétaires.

Ainsi, les informations gardées à son propos dans les registres publiques sont presque inexistantes, d’autant plus, qu’en raison de l’instabilité politique et sociale qu’a connue la Chine au cours des siècles, la plupart des registres les concernant ont été perdus. Plusieurs années de recherche furent donc nécessaires pour que soient rassemblées les informations maitresses connues des experts seuls, comme les différents styles d’emballage, les caractéristiques typiques de certaines galettes, permettant d’offrir une vue d’ensemble sur l’univers du Pu Er.

De ces recherches, 4 périodes dans la production de Pu Er ont été retenues et demeurent principales dans l’histoire du thé Pu Er.

Les Pu Er de l’époque pré-communisme, fin de la dynastie Qing (1644-1912), âge d’or des Pu Er

Lors de cette première période, précédant l’établissement de la République Populaire de Chine, les Pu Er sont manufacturés par des entreprises privées ou familiales. La production de thé provient d’usines familiales de petite taille. La demande est moins grande et comme, à Yiwu, presque tous les résidents possèdent une petite production personnelle pour assurer leur propre consommation, les usines ne sont pas utilisées à plein régime. Les Pu Er de cette période ne sont pas emballés dans du papier, trop dispendieux pour l’époque. Accompagnés d’un petit papier indiquant la marque de l’entreprise, ils sont emballés en paquet de sept dans de l’écorce de bambou. Parmi les fabriques familiales connues, on retrouve Tong Xing Hao et Song Pin Hao. La prise du pouvoir du mouvement communiste en 1949 marque la fin de cette période.

Les Pu Er « chefs d’œuvre », des années 1950 au début des années 70

Lorsque le gouvernement communiste arrive au pouvoir, il interdit l’entreprise privée : tous les petits propriétaires doivent cesser leurs activités au profit des grandes usines qui, entre 1949 et 1980, dominent complètement la production de thé. Menghai, Kunming, Xiaguan et Fengqing sont de celles qui ont marqué l’histoire. Pour contrôler l’industrie et stabiliser la production, la Corporation du thé de Chine est créée. Son logo, retrouvé sur chaque emballage, est formé de huit caractères (« zhong »), représentant l’Empire du milieu, qui entourent l’idéogramme茶 (thé). Il annonce que, maintenant, le thé de Chine sera vendu au reste du monde par les « huit directions ». Sur l’emballage d’une galette de Pu Er de cette période, quatre couleurs, le rouge, le bleu, le jaune et le vert, sont employées pour l’impression de l’idéogramme茶. En bas, on peut y lire « Zhongcha Brand Round Tea Cake » qui est le titre officiel des Pu Er de cette époque. L’une de ses plus fameuses galettes est la « Red Mark Round Tea Cake. La couleur rouge des caractères, couleur symbolisant la renaissance, a probablement été choisi pour souhaiter un heureux commencement à la nouvelle Chine. Son gout, amer et corsé, ne fut, semble-t-il, pas très apprécié. Pourtant, cette astringence « involontaire » était garante d’un avenir prometteur. Bien conservées, les « Red Mark » ont développé, au cours des quelques 50 dernières années, leur riche potentiel et offrent aujourd’hui des qualités gustatives exceptionnelles.

Les Pu Er de la période des « sept fils »

1972, année de l’établissement de la CNNP (China National Native Product), marque le début de la troisième période dans l’histoire du Pu Er. Celle-ci prend contrôle de la production des manufactures existantes, dont Menghai, Xiaguan et Kunming. L’art de l’assemblage se perfectionne et des « recettes » apparaissent. L’emballage des galettes change drastiquement. On n’y lit plus « Round Tea Cake », mais « Yunnan Chi Tse Beeng Cha » (Yunnan Qi Zi Bing Cha). À Menghai, les lettres romaines commencent à être utilisées sur le papier. Les rendements sont maximisés par l’intégration des engrais, des machines et des nouvelles techniques agricoles. Ce troisième âge du thé Pu Er se poursuit jusqu’au milieu des années 1990. C’est aussi au début de cette période que les techniques de maturation accélérée ont été développées, créant la famille des Pu Er Shou.

Le nouvel âge du thé Pu Er

Le retour du libre marché en Chine au cours des années 1980 permet aux usines privées de reprendre leurs activités. Il faut néanmoins attendre les années 1990 pour qu’une majorité de petits producteurs se réapproprie le marché, menant au nouvel âge du thé Pu Er. Pendant cette période, la production de thé Pu Er est l’affaire de centaines de fabriques qui se développent et transforment le marché avec de nouvelles pratiques. De nombreux marchands commencent à choisir les feuilles avec lesquelles ils compressent leurs galettes, chacun cherchant les meilleures feuilles et la meilleure formule. Les consommateurs ont maintenant le choix entre plusieurs genres de Pu Er produit par différentes manufactures. Des centaines d’emballage original sont créés et on assiste depuis à une diversité infinie dans le choix du matériel végétal, de la méthode de compression, des procédés de manufacture, des formules et des emballages.

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Le phénomène spéculatif du marché du Pu Er

Entre 2003 et 2007, le marché du Pu Er a connu un boum extraordinaire, démesuré, comme si, tout à coup, les investisseurs chinois, taiwanais, hongkongais et malais avaient tous décidé en même temps de porter leur intérêt sur ce nouveau marché. Un peu partout en Asie, on apprenait que des profits considérables pouvaient être réalisés sur des galettes, vieilles de plus de 30 ans, achetées à des prix dérisoires. Investir dans le thé était devenu une option aussi intéressante que d’investir dans l’immobilier. La demande, alors considérablement plus forte que l’offre, fit monter les prix en flèche. En quelques années, les industries se multiplièrent. Les nouveaux amateurs ou investisseurs, n’ayant peu ou simplement pas de connaissance dans ce marché, achetaient à peu près n’importe quoi à des prix bien trop élevés pour la valeur du produit. Inévitablement, cet engouement soudain créa une inflation du prix du Pu Er, saturant le marché jusqu’à son effondrement en septembre 2007.

Retracer l’origine de ce phénomène spéculatif nous mène à Hong Kong au début des années 1930. L’ile est alors peuplée de moins d’un million d’habitants, dont une grande partie a l’habitude de fréquenter les populaires maisons de thé pour manger des dimsum, discuter et boire du thé. Déjà, on y préfère le Pu Er fermenté au Pu Er « vert »  ou jeune qui, selon les Hongkongais, est trop agressif pour l’estomac. Pour répondre à cette masse de consommateurs, le marché est principalement tourné vers des thés de consommation courante. Au cours des années 1940, une minorité d’amateurs plus aisés réussit à obtenir des thés de qualité supérieure. Tong Qing Hao, Tong Chan, Tong Shun Xiang font parti des Pu Er haut de gamme dont quelques galettes issues de ces premières importations sont encore pleines sur les tablettes de certains vendeurs. Jusque dans les années 1950, s’il est vrai que l’importation annuelle de Pu Er de qualité demeure restreinte, en raison de ce marché limité, Hong Kong est tout de même considéré comme un importateur important.

Avec la révolution communiste, le gouvernement chinois, pratiquant alors l’économie planifiée, choisit de vendre à l’interne les thés qu’il n’exporte pas. En Chine, on boit alors du thé vert ou noir, très peu de Pu Er est disponible. C’est tout le contraire à Hong Kong où l’on trouve beaucoup de ces vieux thés, notamment dans les restaurants. Cette abondance, en plus de permettre aux Hongkongais de développer leur gout pour ces thés vieillis, a fait de Hong Kong une plaque tournante dans le marché du Pu Er.

Lorsque, au début des années 1980, les Taiwanais, aidés par un contexte économique favorable, commencèrent à s’intéresser au Pu Er, leurs regards se sont tournés, entre autre, vers Hong Kong. Les collectionneurs y étaient déjà nombreux et la valeur de certaines galettes intriguait les acheteurs. Conscients de la valeur marchande de leurs galettes, et fleurant la bonne affaire, les Hongkongais ne laissèrent pas s’envoler leurs précieux Pu Er à prix réduit, de sorte qu’ils ont été perçus, peut-être un peu à tord, comme responsables de l’origine de la flambée des prix. Puis, à partir de 2003, la Chine connu un phénomène économique semblable qui a mis le feu aux poudres. Alors plus riches et beaucoup plus nombreux, les hommes d’affaires chinois se sont mis à investir massivement, non seulement dans le thé, mais dans plusieurs autres secteurs, comme la peinture ou les antiquités, causant presque instantanément une montée en flèche des prix. En quelques années seulement, le marché du Pu Er s’est emballé jusqu’à son effondrement en 2007. Pour certains investisseurs, ce fut la catastrophe. Achetées au prix fort, les galettes de Pu Er Sheng bas de gamme ne valent presque rien aujourd’hui. Par contre, les amateurs de vieux Pu Er n’ont pas subit les mêmes dommages. La bulle spéculative n’a pas eu de véritable effet sur le prix des vieux Pu Er, leur valeur n’a pas été dépréciée. La rareté du produit continue de provoquer une demande forte et les prix demeurent élevés.

Suite à ce phénomène, les investisseurs sont aujourd’hui beaucoup plus sensibles à la qualité. La plupart goutent, comparent, analysent. Face à cette réalité, les producteurs doivent s’adapter et améliorer leur produit, ce qui est, tout compte fait, une très bonne chose.

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