En mémoire d'un producteur de thé extraordinaire : Morris Orchard

27 septembre 2021
commentaire commentaire commentaires

Morris Orchard

Morris Orchard est décédé tragiquement de complications après avoir contracté la COVID-19 le mois dernier. Pour honorer ce grand homme de thé, nous republions une entrevue avec lui de 2019.

Les producteurs à ce point passionnés sont relativement rares dans l'Himalaya, et le regretté Morris Orchard de Jun Chiyabari au Népal en était un excellent exemple. Fier de faire partie de la troisième génération à oeuvrer dans le domaine du thé, c'est dans les jardins de Darjeeling qu'il a commencé sa carrière, motivé par la conviction que le thé de qualité est le résultat d'un esprit artisanal. Le dévouement et l'enthousiasme qu'il a consacrés à son travail ont permis d'obtenir un niveau de qualité remarquablement constant ; il a d'ailleurs développé certains des thés les plus innovants qui soient sortis du Népal et de toute la région himalayenne depuis de nombreuses années. Ceux-ci sont les favoris de toute l'équipe et des clients de Camellia Sinensis et sont fortement attendus chaque saison.

Morris était un gentleman calme et humble, aimé de tous et très respecté dans l'industrie. J'ai eu la chance de le connaître en tant que collègue et ami lors de nombreuses visites annuelles au jardin de thé Jun Chiyabari.

J'ai rencontré Morris Orchard lors de ma première visite à Jun Chiyabari il y a près de 15 ans. Morris a été embauché par son bon ami Bachan Gyawali, l'un des deux frères propriétaires du jardin. D'abord très impressionné par les thés, j'ai été encore plus ébloui après avoir visité ce projet de thé très innovant, situé en hauteur dans la région de Dhankuta au Népal. La gestion du jardin et de la fabrication était effectuée par d'anciens directeurs très respectés de Darjeeling : Robin Banerjee à la supervision et Morris Orchard en charge de la fabrication quotidienne du thé. Morris était un homme de thé de troisième génération avec une passion rare pour l'ensemble du processus, du jardin à la tasse. Il faisait également une excellente pizza!

Kevin


ENTREVUE EN 2019 AVEC LE REGRETTÉ M. ORCHRARD

Quand et comment avez-vous fait vos débuts dans le monde du thé?

J’ai fait mes débuts comme professionnel dans le monde du thé en 1992, juste après ma graduation. Ayant vécu toute ma vie dans des jardins de thé (que ce soit dans l’Assam, Dooars, Terai ou Darjeeling) cela m’a toujours semblé naturel de continuer dans cette voie.

Mon grand-père et mon père travaillaient tous deux dans l’industrie du thé. Je représente donc la troisième génération de cette lignée. Plus jeune, quand je revenais du pensionnat, j’étais toujours accueilli par les arômes, les saveurs et l’atmosphère des jardins de thé où nous vivions. Ces souvenirs font partie intégrante de ma personne et je suis reconnaissant aujourd’hui de savoir qu’ils traînent encore dans ma mémoire.

Parlez-nous un peu de vos jardins.

Le Jardin de thé Jun Chiyabari est haut perché dans l’Himalaya, dans le district de Dhankuta au Népal. Il s’étend entre 1400 m et 2200 m d’altitude, son élévation moyenne tournant autour de 1850 m. Nous sommes certifiés biologique et nous efforçons de devenir toujours plus naturels, un peu à l’image d’une forêt ou d’une jungle où les arbres sont cultivés naturellement. Évidemment, nous continuons de tailler et d’élaguer nos théiers, mais nous laissons aussi volontairement pousser les mauvaises herbes dans plusieurs secteurs, comme dans une jungle. C’est une des raisons pour lesquelles le jardin a l’air aussi luxuriant.

Nous produisons ici plusieurs variétés de thé réparties sur l’ensemble du spectre oxydatif. Certaines sont manufacturées selon les pratiques de la région, d’autres avec des techniques originaires d’Asie du Sud-Est. Je m’efforce toujours d’innover et cherche constamment à améliorer la qualité de nos thés.

Combien de travailleurs employez-vous et quelles quantités de thés produisez-vous par année?

Nous employons présentement 274 travailleurs, dont 90 % sont des femmes. Notre production varie entre 15 et 18 tonnes de thé par année.

Quels aspects de votre travail préférez-vous?

Ce que je préfère de mon travail, c’est de visiter les jardins et d’observer les fruits de notre labeur, un labeur qui implique un nombre incroyable de travailleurs (présents et passés). J’aime me demander comment faire avancer les choses en respectant les efforts de ceux qui nous ont précédés.
J’aime également beaucoup déguster le thé. J’aime l’excitation avant la dégustation et la joie qui accompagne le moment. La dégustation est le point culminant du processus, l’aboutissement de l’effort mis par tous. Je le vois aussi comme une réflexion de mes propres habiletés et techniques. C’est toujours un grand plaisir de déguster le thé.

Finalement, j’aime savoir ce que nous avons produit et ce qui peut être fait pour le rendre meilleur. J’aime me sentir satisfait d’un produit et anticiper les commentaires de nos clients. Cela me motive à avancer toujours plus et à donner le meilleur de moi-même.

Qui sont les principaux acheteurs de vos thés? Clients locaux ou internationaux?

Nous vendons principalement nos thés à des clients internationaux qui viennent de partout à travers le monde. Mais nous travaillons aussi à développer le marché local.

Percevez-vous des changements depuis vos débuts dans l’industrie?

Oh oui! J’ai été témoin de beaucoup de changements depuis mes débuts dans l’industrie du thé. Et même depuis que je regarde travailler mon père et mon grand-père. Avec le temps, le thé semble devenir un produit moins générique, moins industriel. Aujourd’hui, dans cette partie-ci du monde, le thé est considéré davantage comme un produit artisanal. Ce n’est pas que les thés industriels aient disparu, mais il y a une tendance définitive vers les thés artisanaux.

J’ai aussi commencé à observer une plus grande sensibilité envers la nature : depuis les thés cultivés avec pesticides et engrais chimiques jusqu’aux cultures biologiques, puis biodynamiques et enfin aux techniques d’agriculture naturelle, tout cela se passe dans l’esprit de Masanobu Fukuoka*.

Ayant vécu les différences de cultures entre Darjeeling et le Népal, je note aussi que nous avons une hiérarchie moins importante ici. Au Népal, le maître de thé doit être impliqué de manière beaucoup plus directe dans la production du thé, alors qu’ailleurs, il s’agit plus de donner des ordres et d’évaluer le produit final. La production de thé est devenue plus personnalisée.

Quel est votre thé préféré?

Au début de ma carrière, j’adorais les thés d’été (2nd flush). Aujourd’hui, j’attends avec impatience les thés de printemps (1st flush), mais, définitivement, mes thés préférés sont ceux d’automne et d’hiver.

* Fermier et philosophe japonais, père du mouvement d’agriculture naturelle

Ajouter un commentaire