Le dernier Matcha d'un samouraï

30 mars 2023
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Le dernier Matcha d'un samouraï (par Marie Bilodeau)

Illustration : Marie Bilodeau

Imaginez-vous être un samouraï au XVIe siècle. Vous devez prendre part, au nom de votre souverain, à une bataille perdue d’avance. Il vous reste une chose à faire avant de vous lancer dans le combat : parcourir le roji jusqu’au chashitsu, où l’on vous servira votre dernier bol de thé.

Le chashitsu a été construit à l’écart, au fond d’un jardin. Vous remarquez le sentier propre, les pierres fraîchement arrosées, les fleurs qui colorent le jardin. Le sentier mène au tsukubai, la vasque en pierre. Vous vous purifiez la bouche et les mains avec cette eau fraîche.

L’hôte est là. Il vous invite à entrer dans le pavillon. La porte, basse et étroite, vous oblige à laisser votre sabre à l’extérieur. C’est le seul endroit où vous acceptez de vous désarmer ainsi. Pour la cérémonie, un petit éventail fixé à la ceinture symbolise votre sabre.

Dans le chashitsu, la lumière est tamisée, un léger parfum d’encens flotte dans l’air, l’eau chauffe dans le kama. Vous vous dirigez vers le tokonoma pour y lire le poème calligraphié. Les fleurs sont belles. Ensuite vous vous agenouillez à votre place.

Le thème de la cérémonie a été judicieusement choisi par l’hôte assis paisiblement sur le tatami. Il attend le moment propice. Vous êtes profondément concentré, les sens en éveil.

Ses premiers gestes sont précis, admirables. Les instruments, parfaitement agencés, sont simples, nobles et beaux. Il les manipule avec respect, les purifie et les dispose harmonieusement. Il met deux cuillerées de poudre de thé vert dans le bol réchauffé. Puis, d’un mouvement plus ample, il puise l’eau dans le kama, en verse sur le thé, prend le chasen et fouette le thé quelques secondes, jusqu’à ce qu’il obtienne une mousse de jade. 

L’hôte dépose ensuite le bol devant vous. Vous attendez un instant avant de le prendre. Le thé est d’un vert scintillant qui vous rappelle l’éclat des herbes après la pluie. Hypnotisé par cette couleur, vous plongez, l’esprit libre.

Le temps s’immobilise. Dehors, la guerre n’est plus. Votre vie vous apparaît comme une ligne droite et pure.

Vous prenez le bol avec assurance, le déposez dans le creux de votre main gauche. Vous lui faites faire un demi-tour sur lui-même et le portez lentement à vos lèvres. La première gorgée vous surprend comme un coup de fouet : le liquide est onctueux et son amertume illumine votre esprit. La gorgée suivante, douce et savoureuse, vous procure un réconfort inespéré. Vous l’appréciez tranquillement. La troisième est un plaisir sublime. Une agréable sensation de légèreté vous envahit.

Et tandis que vos lèvres touchent une dernière fois le bol, dehors la terre tremble. Vous considérez le bol et les instruments, vous vous imprégnez du poème calligraphié sur le mur, vous saluez votre hôte et sortez, les sens en alerte et l’esprit en paix.

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